On présente ici le « liège de café », un matériau biodégradable composé de marc de café et d’un gélifiant alimentaire. Il est produit avec du simple matériel de cuisine.
Cette matière peut servir à faire des objets moulés (version à chaud), modelés, ou des plaques (version à froid) qui peuvent être travaillées dans un second temps. Ce tutoriel présente la fabrication à froid, la version à chaud fera l’objet d’un autre tutoriel.
Les perspectives d’application de cette matière semblent limitées par ses propriétés: fragilité, contraction et déformation au séchage, moisissure en cas de contact prolongé avec l’eau, etc. Cependant, le liège de café permet d’illustrer la démarche low-tech appliquée aux matériaux, selon la vision d’Atelier CIRCULR:
- employer des déchets omniprésents comme ressources
- se réapproprier les techniques de fabrication
- limiter l’impact en fin de vie par la compostabilité
Le liège de café est une illustration des « bioplastiques », sujet de nombreux travaux de designer [1]. Ce tutoriel a été grandement inspiré de plusieurs recettes présentes sur Materiom [2], une plateforme qui ambitionne d’accélérer la transition des matières issues de ressources fossiles à des “matériaux régénératifs”[3].
Le nom dérive de l’aspect de la matière. Il est important de noter que le liège de café est très différent du vrai liège. En effet, il est loin d’être imputrescible, et n’a pas la même souplesse ni la même résistance.
Outils et matériel nécessaires
Matériaux
- marc de café frais ou sec (cf Etape 1)
- gélifiant alimentaire : alginate de sodium
- glycérine (facultatif)
- eau
- vinaigre blanc
- coquilles d’œuf
Outils
- séchoir solaire, four ou étuve de séchage
- plateau, coupelle ou tout autre contenant àu fond plat, voire simplement plan de travail propre
- balance précise (à 0,01g ou 0,1g)
- bol ou saladier
- baguette ou bâton fin
- bocal ou bouteille à col large de 1L
- bouteille de 1L pour le liant
- petite bouteille ou vaporisateur pour le réactif
Etape 1 : Récupération et séchage du marc de café
Quoique issu d’une culture non présente en France métropolitaine, le marc de café est un déchet organique abondant, issu de la consommation de la boisson éponyme. Il peut se récupérer à l’échelle domestique, collective (bar, lieu de travail) ou industrielle (production de café soluble).
Récupération dans des cafés
Dans notre cas, la récolte de grandes quantités de marc de café s’est faite auprès de cafés et restaurants en ville. Les meilleurs moments sont vers 10h et vers 14h, quand beaucoup de cafés ont été servis, et les machines n’ont pas encore été vidées. Des seaux alimentaires de 5L en plastique, aussi récupérés dans des restaurants, permettent de récolter le marc de café de la plupart des tiroirs de machines à café de bar. Les restaurateurs n’ont aucun problème à donner leur marc de café.
Attention : le marc de café doit absolument être frais, pour éviter la croissance de moisissures sur le matériau avant séchage.
Le marc de café doit être immédiatement utilisé, ou bien séché pour une utilisation ultérieure. En effet, étant très riche en nutriments pour les micro-organismes, il a tendance à moisir en 1 à 2 jours (ce n’est pas pour rien qu’on l’utilise comme substrat pour la culture de champignons).
Séchage du marc
Séchage au soleil
Si la saison le permet, et si une surface suffisante et bien orientée est disponible, le séchage peut intervenir en étendant le marc de café sur des plaques au soleil.
Pour permettre un bon séchage, il faut casser les agrégats de marc (par exemple, les galettes des machines à café de comptoir).
Des caisses de légumes (récupérables en fin de marché) recouvertes de papier ou de tissu peuvent être utiles pour minimiser la surface encombrée.
Le séchage prend de 1 à 4 jours selon les conditions météo. Il est nécessaire de remuer régulièrement le marc de café pour qu’il sèche uniformément.
Séchage au four
Sinon, un séchage en étuve est plus rapide et plus compact. Dans ce cas, on ventile de l’air chaud (maximum 50C) sur les plaques de déchets, pendant quelques heures.
Dans un four domestique, on peut utiliser le mode chaleur tournante ou cuisson ventilée au réglage le plus bas. Il faudra alors laisser la porte du four entrouverte pour laisser l’humidité s’échapper.
Note : Comme vous pouvez le voir sur le site de Materiom, on peut utiliser une vaste gamme de déchets organiques pour produire des matières : coquille d’œuf, thé, … Le choix du marc de café ici est guidé par la familiarité de ce co-produit (plus d’impact pour sensibiliser) ainsi que sa présentation sous forme de poudre.
Nous avons réalisé des essais avec des déchets solides de substituts de café (chicorée, orge, lentilles torréfiées, etc), et obtenu de bons résultats. Le rendu final de la matière semble beaucoup plus dépendante de la finesse de la mouture du déchet que de sa composante.
Étape 2: Préparation du liant (à faire en avance)
Au moins 3 jours avant la fabrication, préparer l’alginate de sodium, qui servira de liant.
Note : L’alginate de sodium est un extrait d’algues brunes, utilisé dans l’industrie agroalimentaire, mais aussi dans l’industrie pharmaceutique et dans l’impression, pour ses propriétés épaississantes et gélifiantes.
Cet ingrédient a connu son heure de gloire dans les années 2010, à l’essor de la cuisine moléculaire, car il permet de faire des billes de sauce ou de boisson à ajouter dans des plats ou cocktails. L’alginate de sodium est vendu sous forme de poudre sur des sites spécialisés dans la pâtisserie.
Mélange de l’alginate et l’eau
Verser dans une bouteille de 1L, 30g de poudre d’alginate de sodium. Ajouter 300mL d’eau du robinet, et mélanger une première fois avec une baguette propre en grattant bien le fond de la bouteille, puis de nouveau 300mL d’eau. Ajouter enfin les 400mL d’eau restante et mélanger vigoureusement encore une fois. On peut utiliser de l’eau chaude du robinet (pas de l’eau bouillante), pour faciliter le mélange.
Note : Pour le liège de café, on prépare une solution d’alginate de sodium à 3%. On peut adapter la quantité de liant à la quantité finale de liège de café voulu.
15g pour 500mL d’eau
60g pour 2L d’eau
etc
Hydratation de la poudre d’alginate
La poudre d’alginate de sodium va mettre plusieurs jours à s’hydrater complètement à température ambiante. Mélanger régulièrement en remuant la bouteille, et casser les agrégats avec une baguette ou un bâton propre.
Le liant est prêt quand on obtient un liquide très épais et homogène. S’il reste quelques agrégats, ce n’est pas grave, il faudra simplement bien les mélanger avec le marc de café
Conservation du liant
Conserver au réfrigérateur. Le liant peut se conserver plusieurs semaines au frais, et jusqu’à 15 jours à température ambiante. Il n’est plus utilisable quand on voit des moisissures se développer.
Étape 3: Préparation du réactif (à faire en avance)
Pour gélifier l’alginate de sodium qui sert de liant, il faut la mettre en contact avec du calcium.
Note : En cuisine moléculaire, on utilise un sel de calcium commercial (chlorure de calcium) comme réactif. Cela permet de jouer avec précision sur la quantité de calcium et donc la texture du gel. Ce niveau de précision n’est pas nécessaire pour le liège de café.
Ici, on récupère le calcium d’un autre déchet de cuisine : les coquilles d’œuf.
Mélange du vinaigre et des coquilles d’œuf
Au moins 1 jour avant la fabrication, placer quelques coquilles d’œuf dans un bocal ou une bouteille à large ouverture (style bouteille de coulis de tomate) de 1L. Ajouter 500mL de vinaigre blanc, qu’il soit alimentaire ou ménager. Les coquilles vont instantanément commencer à se dissoudre, et des bulles vont se former. Laisser jusqu’à utilisation. Une mousse peut se former en haut du bocal, mélanger pour la dissiper.
Note : pour les chimistes, la dissolution de la coquille calcaire est une réaction acido-basique. Les bulles sont donc un dégagement de dioxyde de carbone.
Attention : Le vinaigre va beaucoup buller. Il faut donc laisser de la place pour que les bulles se dégagent, et ne pas refermer totalement le contenant. Si le couvercle ou bouchon est en métal, ne pas le laisser sur le contenant (ou seulement pour le déplacer), pour limiter la formation de rouille.
Au bout de quelques jours, ou juste avant de fabriquer le liège de café, il faut filtrer le réactif. On retient alors les petits morceaux de coquille dissoute, ainsi que les peaux détachées des deux côtés de la coquille calcaire. Filtrer le réactif avec une petit tamis métallique (style passoire à thé), et le mettre dans une petite bouteille ou un vaporisateur.
Le réactif se conserve plusieurs mois sans se détériorer.
Étape 4: Préparation de la pâte de liège de café
Dans un grand bol ou un saladier, verser 200mL (à peu près) de liant et ajouter 75g de marc de café sec (ou bien 100g de marc de café frais).
Mélanger avec une cuiller en prenant soin de casser les éventuels agrégats de marc de café ou d’alginate de sodium.
Le mélange doit être homogène. Il doit former une pâte à la texture proche de la pâte à modeler, pas trop humide au toucher.
Note : Il est possible d’ajouter de la glycérine au mélange. Celle-ci permet de limiter la déformation au séchage et de donner un peu de flexibilité au matériau final. En contrepartie, le matériau avec de la glycérine est fragilisé, et risque de relâcher de la glycérine dans le temps.
- 0g de glycérine permet d’obtenir une matière complètement rigide et cassante
- 30g de glycérine pour 200mL de liant permet d’obtenir une matière légèrement déformable. Elle rappelle un dessous de plat en liège.
- 60g de glycérine pour 200mL de liant permet d’obtenir une matière qui peut se plier en partie (si suffisamment fine). Elle n’est pas un matériau souple pour autant.
Étape 5: Mise en forme du liège de café
A ce stade, le liant n’est pas encore gélifié. On peut donc mettre la pâte en forme de multiples façons :
- pour faire des plaques, on peut étaler une couche uniforme de pâte sur un plateau
- pour faire des petites décorations, on peut étaler un couche de pâte dans un contenant, puis la découper avec un emporte-pièce. En gardant l’emporte-pièce en place, on peut retirer le surplus de pâte pour l’utiliser ailleurs.
- pour faire un objet plus complexe, il est possible de modeler la pâte comme de l’argile
- d’autres techniques sont sans doute possible : tour à potier, empreinte, etc
Note : Il ne faut pas hésiter à modifier la recette pour obtenir une texture plus facile à travailler selon la technique. On peut ainsi ajouter du liant pour avoir plus de souplesse dans la pâte, ou ajouter plus de marc de café pour avoir une pâte plus sèche.
De façon générale, il faut anticiper une contraction au séchage de l’objet de près de 20% (c’est-à-dire qu’une plaque de 10cm ne fera plus que 8cm une fois sèche). Cette contraction devient problématique pour les formes massives ou complexes, car le risque d’apparition de fissures est alors plus élevé.
Étape 6: Séchage du liège de café
Le liège de café que vous venez de préparer est constitué d’eau à 70%. A l’image du marc de café humide, il est un milieu de croissance idéal pour les micro-organismes. Il est donc essentiel de le faire sécher pour éviter la formation de moisissures.
Le séchage peut facilement se faire au soleil, ou au-dessus d’un radiateur.
Afin de limiter les déformations dûes au séchage, on peut employer plusieurs stratégies:
- sécher en gardant la plaque ou l’objet (plat) sous pression, par exemple dans une presse, comme les herbiers
- accélérer le séchage, en utilisant un déshydrateur ou un four réglé à basse température
- de façon beaucoup moins accessible, employer des techniques comme la lyophilisation
A l’issue du séchage, le liège de café doit être rigide (si aucun glycérol n’a été employé). Ce matériau est très léger et poreux, et possède sûrement des propriétés isolantes intéressantes.
Étape 7: Travail du liège de café
Les plaques peuvent se découper et se graver au laser.
De plus, des essais sont en cours pour faire de l’assemblage (colles de poisson, de farine, d’os, etc) et des finitions (huile de lin) avec des produits naturels pour maintenir la biodégradabilité des pièces.
En fin de vie, ces matières sont compostables. Pour l’instant, nous avons uniquement jeté des petits objets et de la pâte de liège de café non gélifiée dans un compost domestique, et cela semble fonctionner. Nous aimerions faire des études plus poussées de décomposition, et étudier également si ces matières broyées peuvent jouer le rôle de structurant dans un compost.
Notes et références:
[1] Le terme de bioplastique est à utiliser avec précaution. En effet, il a une toute autre définition pour l’industrie du plastique, pour laquelle bioplastique = plastique biosourcé. L’industrie chimique ne prend pas en compte les modifications chimiques appliquées, ni la biodégradabilité du matériau final.
[2] En particulier, recettes avec du marc de café et de l’alginate de sodium de Pilar Bolumburu et FabTextiles.
[3] L’équipe de Materiom définit les “matériaux régénératifs” comme 100% biosourcés et 100% biodégradables. La biomasse doit également être localement abondante, sous-utilisée, et ne pas entrer en compétition avec l’usage des sols ou la sécurité alimentaire.
[4] L’entreprise Notpla utilise cette technique pour créer des capsules comestibles d’eau, ou de sauces.
Crédits
Texte: Marion Roullet
Photos: Marion Roullet et Laura Slendzak
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